Mon engagement auprès des SDF

SDF : ce n'est pas une maladie mais une détresse. Dominique, médecin généraliste, a fondé un centre d'hébergement pour mieux répondre à ce problème global, avant d'envisager un parcours de soin cohérent pour ces personnes.

Médecin en banlieue parisienne et membre de l'Opus Dei, Dominique dirige un centre d'hébergement pour SDF qui fonctionne toute l'année et a une capacité de 26 places.

1° - Pourriez-vous nous expliquer comment l'idée de fonder cette association vous est venue ?

Dans les années 80, en tant que médecin généraliste, je voyais à mon cabinet des patients étiquetés « SDF ». Très rapidement il m'est apparu que sans domicile, sans toit, il était illusoire de vouloir faire entrer ces patients dans un parcours de soin cohérent afin de pouvoir prendre en charge leur pathologie (alcool, drogue, trouble psychiatrique, désocialisation).

Etant président d'une association caritative, j'ai décidé que nous devions répondre localement à cette demande. En raison de la lourdeur de la tâche, nous nous sommes associés à deux autres associations caritatives pour fonder cette structure qui accueille maintenant 26 personnes tout au long de l'année. De plus, nous avons considéré qu'il fallait aborder cette population dans une prise en charge globale c'est-à-dire autant sociale que médicale. Nous avons pour cela mis en place localement de nombreux partenariats. Tout patient qui arrive chez nous est l'objet d'une évaluation, sociale, médicale, psychologique et, si besoin, psychiatrique. Puis un parcours de prise en charge est établi et nous essayons de lui faire tenir des objectifs qui l'aideront à se réinsérer, ce qui n'est pas simple…

2° - Comment réagissent les personnes à qui vous venez en aide ?

C'est d'abord dans leur regard que l'on lit leur réaction. Croisez le regard d'un jeune SDF de plus 18 ans, donc majeur, qui vient d'être exclu de sa famille recomposée : dans ce regard vous lisez la détresse de l'abandon, un appel à l'aide, mais aussi le soulagement d'être accueilli. Essayez de dormir dans votre voiture, dans une cage d'escalier, dans la cabine téléphonique qui est devant votre immeuble, vous verrez qu'en quelques jours, vous deviendrez méconnaissable. Cela change la vie des personnes qui font appel à nous de pouvoir se laver, se nourrir, dormir, être écouté par un travailleur social compétent dont la mission est de les aider à reconstruire leur vie éclatée, à comprendre leurs erreurs, et à poser les première bases de l'espérance. Très souvent nous recevons des lettres plusieurs années après pour nous dire « j'ai un toit, un travail, une copine ».

3°- Que conseilleriez-vous à ceux qui souhaiteraient s'investir dans une activité caritative ?

Avoir beaucoup de constance dans l'action et un grand sens de l'humour. La situation des SDF est complexe. Ils ont un parcours de vie éclaté, ils sont ballotés d'une structure à l'autre, d'une région à l'autre, voir d'un pays ou même d'un continent à l'autre. Beaucoup ont des enfants qu'ils ne voient plus et cela est pour eux une source de grande souffrance. Imaginez-vous un instant sans proche, cherchant du travail au fin fond d'un village chinois, n'étant ni connu, ni reconnu par la langue, la culture, les diplômes !

Garder le sens de l'humour aussi : notre pays dit des droits de l'Homme autorise le séjour des étrangers, mais ne leur donne pas le droit de travailler… Cela maintient ces personnes dans la précarité et la non reconnaissance de leur être. La formule « précaire un jour, précaire toujours » est malheureusement parfois vraie. Le sens de l'humour est une méthode : nous ne pouvons pas partir en guerre frontale contre tous ces blocages que révèle la situation des SDF. Il faut du pragmatisme. L'humour débloque souvent des situations dont la complexité, tant au niveau des personnes que des textes réglementaires, atteint des sommets.

Enfin, je conseillerais de constituer une équipe soudée et volontaire, partageant totalement les valeurs que vous voulez appliquer dans votre projet, car la vie d'un centre d'hébergement n'est pas un long fleuve tranquille.

- Le fait que vous fassiez partie de l'Opus Dei a-t-il eu une influence sur votre décision de vous lancer ? En a-t-il maintenant sur votre activité associative ?

Faire partie de l'Opus Dei, c'est essayer, je dis bien « essayer », de mettre Dieu au cœur de toutes ses pensés et de tous les actes de sa vie. C'est être assuré que Dieu m'a mis là pour être acteur de son dessein. C'est voir Dieu en chaque SDF. Comme nous, ils sont créés à l'image de Dieu. Sans aucun doute mon appartenance à l'Opus Dei m'a aidé à m'engager dans le service de cette cause. Toutefois, je suis le seul de l'association à faire partie de l'Opus Dei. La religion n'est pas un critère de recrutement des bénévoles, qui viennent des horizons les plus divers. Nous nous retrouvons autour d'un objectif commun : aider les personnes qui souffrent. Notre soutien est tout d'abord matériel, mais nous cherchons également à leur redonner conscience de leur dignité d'homme.

Notre action, dans ce foyer dont l'espace de vie est réduit, est à 95% une action sur des personnes : SDF, bénévoles, permanents, partenaires, etc. Les problématiques sont complexes et, soyons lucides, les conflits fréquents. Cependant, la formation que j'ai reçue au sein de l'Opus Dei m'a appris à voir Dieu dans tous les rapports humains. Alors oui, mon appartenance à l'Opus Dei est comme une racine qui m'attache à Dieu. Cette racine, en moi, me guide. Lorsque cela ne va pas bien, c'est que j'ai perdu ce lien avec Dieu.

Pour finir, n'oublions pas que la problématique très complexe des SDF repose essentiellement sur des carences affectives. Est ce quelqu'un m'aime ? Dieu n'est-il pas Amour ? C'est une invitation à ce que chacun se demande comment il vit la charité avec ceux qui sont autour de lui : la famille, les amis, les voisins, etc.